La problématique de l'abus sexuel intrafamilial

Bien que les parents mettent souvent leurs enfants en garde contre les vilains messieurs qui pourraient les accoster pour leur proposer des bonbons, la majorité des abus sexuels se passent au sein des familles et provoquent des dégâts considérables. Au traumatisme sexuel s'ajoutent d'autres souffrances non moins importantes : disloquation de la famille (avec la culpabilité associée pour la victime qui a révélé), les longues procédures judiciaires, l'emprisonnement éventuel de l'auteur des faits, le placement de l'enfant en-dehors de sa famille lorsque le milieu s'avère non protecteur, etc.

  • Dans le court et moyen terme : bien qu'un cinquièmes des victimes ne développent aucun symptôme visible, la majorité d'entre elles vont exprimer leur détresse psychologique à travers des comportements inquiétants : conduites hyper-sexualisées ou au contraire très inhibées, troubles alimentaires ou du sommeil, comportements agressifs, difficultés à se concentrer, d'où problèmes d'apprentissages scolaires
  • Dans le plus long terme : à travers nos collaboration avec le monde de la santé, nous remarquons qu'un nombre important de patients souffrant de pathologies diverses ont pu être agressés sexuellement dans l'enfance ou l'adolescence : douloureux chroniques, traumas crâniens, accidents de la route 4 fois plus fréquents de la population générale ... Nous savons aussi qu'une part importante des toxicomanes, des prostituées, des délinquants n'ont pas été respectés dans l'enfance. Une étude américaine révélait que plus de 90 % des prostituées de Los Angeles avaient subi des traumatismes sexuels avant l'âge de 14 ans.
Dans notre propre population clinique, nous rencontrons également beaucoup de parents ayant été abusé dans l'enfance qui, n'ayant pas eu la possibilité de se reconstruire, éprouvent de grandes difficultés à prendre en compte les besoins en sécurité et en développement de leurs enfants.

En conclusion, la problématique de l'abus sexuel ne se réduit pas à quelques faits divers ou à une problématique marginale, mais à un problème de santé publique dont le coût est extrêmement important et insuffisamment pris en compte par les pouvoirs publics.

Le projet Kaléidos en quelques mots

Le projet s’appuie sur les recherches qui attestent de l’importance des séquelles d’un abus sexuel sur un enfant, que ce soit à court, moyen et long terme. On sait que dans le cas particulier, mais le plus fréquent, de l'abus sexuel intrafamilial, les séquelles sont d’autant plus importantes que l’enfant a été abusé par un de ses proches, une personne en qui il avait confiance. Dans ce cas, les conséquences du dévoilement sont très importantes pour l’enfant et pour sa famille : cela peut être l’éclatement de la famille, l’incarcération de l’auteur des faits, le placement de l’enfant. Dans certains cas l’enfant n’est pas cru, ou même il est blâmé et tenu pour responsable du malheur de la famille. Le(s) parent(s) non abuseur(s) sont eux aux prises avec un sentiment d’incrédulité et de culpabilité de ne pas avoir pu protéger leur enfant. Parfois cela les amène à revivre leur propre traumatisme d’enfance.

Les recherches montrent que le fait de fournir une aide spécialisée à l’enfant victime et à ses proches augmentent les chances pour l’enfant de surmonter son traumatisme. En particulier, on sait que le meilleur facteur de récupération pour un enfant victime d’abus sexuel, c’est la qualité du soutien qu’il va recevoir de la part de sa mère d’abord, de son entourage ensuite. D’où la nécessité d’accompagner l’ensemble de la famille dès le dévoilement.

En ce qui concerne les adolescents auteurs d’abus sexuels, il importe de pouvoir discriminer les motivations qui ont poussé l’adolescent à transgresser afin de décider de quel type d’aide spécialisée il a besoin pour ne pas risquer de récidiver et de commencer un parcours de délinquant sexuel susceptible de se poursuivre à l’âge adulte. Face à l’horreur des faits commis, tant les adolescents eux-mêmes que leurs parents et les intervenants généralistes oscillent entre le déni de la gravité des faits et la crainte d’une récidive.

Pour leur permettre de devenir des citoyens responsables et des adultes épanouis, il importe de faire avec ces adolescents un travail visant à la responsabilisation par rapport aux faits commis, à la réparation par rapport aux dommages causés et au développement de certaines compétences relationnelles qui les protègeront mieux de la récidive (estime de soi, expression des émotions, gestion de la colère, développement de l’empathie, aptitudes à communiquer).
Dans ce travail il est capital d’impliquer les parents afin de comprendre quelle situation a permis à l’adolescent de tels passages à l’acte. Il est parfois nécessaire de revenir avec eux sur un passé de maltraitance physique ou psychologique, de négligence, ou de victimisation sexuelle.

Les bénéficiaires du Service Kaléidos

L'intervention de Kaleidos s'adresse :

  • Au mineur ayant subi des abus sexuels de la part d’un membre de la famille (père, mère, beau-père, frère, grand-père, oncle, beau-frère, etc.) ou par extension, de son entourage très proche (ex. le meilleur ami de la famille), et dont le développement affectif, psychologique et social est compromis en raison de ce vécu d’abus sexuel.
  • Au mineur ayant commis des abus sexuels au sein de sa famille.
  • Aux frères et sœurs de ce mineur qui vivent également des difficultés en lien avec l’abus sexuel qui s’est déroulé au sein de leur famille.
  • Aux mineurs en état de souffrance ou de danger lié au vécu traumatique d’un parent victime d’abus sexuels dans l’enfance.
Des adultes sont également mobilisés pour la reconstruction des mineurs victimes et/ou auteurs et font aussi partie du public cible :
  • Les parents non abuseurs dont un ou plusieurs des enfants ont été victimes au sein de la famille, ou par un familier/ dont un des enfants a abusé sexuellement d’un autre au sein de la famille
  • Les parents qui ont abusé sexuellement de leur enfant, s’ils reconnaissent au moins minimalement l’existence des faits.
  • Les parents ayant été victimes d’abus sexuels dans l’enfance qui rencontrent des difficultés dans l’exercice de leur parentalité en lien avec cette expérience traumatique.
La zone géographique d’activité s’adresse à la Province de Liège, et à l’arrondissement judiciaire de Liège en priorité. Il est également possible de mettre en place des interventions au-delà de la province selon la situation et les nécessités pédagogiques pour des jeunes relevant du SAJ, SPJ ou TJ de Liège.

Le travail avec les mères d'enfants victimes d'abus sexuels

« Il ne sert à rien de sortir les enfants de l’enfer si c’est pour les plonger dans le désert ! »
Dr Marinella MALACREA, pédopsychiatre au
Centro per il Bambino Maltratatto de Milan


Ce guide est issu de l’expérience du projet Kaleidos, une recherche-action mise en oeuvre depuis 2001 au sein de l’association Parole d’Enfants, concernant la prise en charge des situations d’abus sexuels intrafamiliaux. Ce projet a fait l’objet d’un soutien en qualité de projet pilote par le Ministère de l’Aide à la Jeunesse de la Communauté française pendant 5 ans.

Le présent écrit est le fruit de plusieurs années de formation et d’expérimentation en équipe et en réseau dans la prise en charge de ces situations dramatiques dans lesquelles un enfant a été sexuellement abusé par un adulte de son entourage.

Il a été conçu comme un outil de réflexion et d’échange à la disposition des intervenants psycho-socio-éducatifs qui sont amenés à rencontrer les mères des enfants qui ont été abusés sexuellement par un proche. Il n’a donc ni la prétention d’être exhaustif, ni celle d’être applicable à toute la complexité des situations que l’on puisse être amené à rencontrer.

Sa seule vocation, c’est de participer à offrir une aide de qualité à ces femmes et mères, en tenant compte de leurs besoins et des besoins de l’enfant à avoir à ses côtés une mère aussi soutenant que possible.

Pourquoi un ouvrage spécialement consacré à l’accompagnement des mères ?
Tout d’abord, parce que le soutien qu’une mère apportera à son enfant victimisé constitue l’aide la plus précieuse qu’il puisse avoir pour guérir et revivre.
Mais aussi parce notre expérience nous montre qu’il n’est pas toujours facile d’aider ces femmes à adopter une attitude de protection au bénéfice de leur enfant …


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Publication : petit dictionnaires des idées reçues

Pas facile, en tant qu’adulte, de s’occuper d’un enfant ou d’un(e) adolescent(e) victime d’abus sexuels… Comment le ou la soutenir? Que faire pour qu’il ou elle se sente compris(e) et surmonte son traumatisme?

Face à ces questions épineuses, on ne peut pas se permettre de se reposer sur son intuition. Ni sur des croyances ou des idées reçues qui circulent.

C’est pourquoi nous venons de publier un guide qui réfute certaines idées présentes dans l’opinion publique. Au rythme de l’alphabet sont évoqués des mythes et des idées reçues concernant les enfants abusés.

Des croyances a priori pleines de « bon sens », mais qui en réalité ne permettent pas d’aider l’enfant parce qu’elles sont trop simplistes, caricaturales, voire même complètement fausses ! Au travers de cet ouvrage, ce sont des questions essentielles qui sont abordées : les séquelles des enfants victimes, leurs sentiments, leurs besoins et leur sexualité. La place des psys et celle de la justice. L’attitude attendue des parents, des éducateurs ainsi que celle des profs.

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Cette borchure est mise à votre disposition sous un contrat creative commons.


Il est possible également d'acheter ce petit livre à l'association Parole d'Enfants.


Fondements éthiques

En tant que facteur de résilience, la reconnaissance de l’abus sexuel comme traumatisme particulier qui nécessite une aide appropriée pour pouvoir trouver un sens à ce fracas et en dépasser les séquelles douloureuses, mérite d’être mis en avant pour soulager les personnes qui en souffrent et conscientiser les professionnels amenés à s’en occuper.

L’ensemble des intervenants de Kaleidos s’engagent à travailler dans le cadre d’une éthique basée sur :

  • le droit au respect pour chacun ;
  • le droit pour chacun à être reconnu dans ce qu’il vit ;
  • l’obligation de tout mettre en œuvre pour que chacun développe ou remobilise au mieux ses ressources afin de surmonter le traumatisme ;
  • la solidarité entre les membres de l’équipe, entre l’équipe et les bénéficiaires, entre les bénéficiaires pour tenir debout ensemble ;
  • la réalisation de soi, la redécouverte de la faculté à se projeter dans un avenir plus confortable ;
  • la recherche permanente d’une intervention de qualité,
... et ce, dans le but de participer à un monde plus juste, plus solidaire et plus respectueux.

La méthode SVA pour analyser la crédibilité d'une déclaration

L'abus sexuel se déroule habituellement dans la clandestinité. Il n’y a donc pratiquement jamais de témoins. Le plus souvent, les seuls éléments de preuve se résument à la déclaration de l'enfant lui-même. Il convient donc d'évaluer la validité de cette déclaration pour ensuite déterminer quelles sont les mesures d'aide et de protection à mettre en place.
La plupart du temps, c'est le flair clinique de l'examinateur qui sert à déterminer si l'enfant raconte la vérité, si on est en présence d'une affabulation ou encore du produit involontaire de la suggestion (par les pairs et/ou les adultes de l'entourage). Mais cette évaluation subjective, on s’en doute, ne suffit pas…

Une méthode objective, semi-standardisée

Différents outils plus « objectifs » ont donc été développés pour améliorer l’évaluation du témoignage de l'enfant. Parmi ces outils, figure la méthode SVA (Statement Validity Analysis) ou AVD d’Analyse de la Validité d'une Déclaration. Il s'agit d'une procédure systématique semi-standardisée développée au cours des dernières décennies par plusieurs équipes de chercheurs européens (Undeutsch), américains et canadiens (Yuille, Steller, Raskin, Van Gijseghem). Ces chercheurs ont prouvé que l'utilisation rigoureuse de l'AVD permet de discriminer, avec un taux de succès significatif, les déclarations des enfants basées sur des faits vécus de celles qui sont basées sur l'affabulation, le mensonge ou la suggestion.


Détecteur de vérité

La méthode AVD repose sur une hypothèse formulée par le psychologue allemand Udo Undeutsch : « un récit basé sur des faits réellement vécus a des qualités ou des caractéristiques différentes de celles d'un récit raconté par quelqu'un qui n'a pas vécu l'événement ». En ce sens, l’AVD n'est pas un détecteur de mensonges. C’est plutôt un détecteur de vérité : il permet de conclure que « ce que l'enfant a dit est probablement vrai » mais il ne permet pas d’affirmer que « ce qu'il a raconté est probablement faux ».

Concrètement, l'AVD se déroule en trois phases :
  1. Entrevue non-suggestive avec l'enfant
    Pour éviter de biaiser l’entretien, il est indispensable que l'examinateur ne possède aucune information préalable avant sa rencontre avec l'enfant. Cet entretien vise à encourager l’enfant à relater son vécu avec ses propres mots et le plus de spontanéité possible, de manière à pouvoir distinguer ce vécu d’une leçon « apprise par cœur ». Concrètement, on pose à l’enfant un minimum de questions et on évite au maximum la suggestion.
  2. Analyse de contenu
    Tous les entretiens sont filmés en vidéo . De cette manière, on peut retranscrire intégralement et fidèlement le récit libre de l’enfant. Cela permet ensuite de réaliser une analyse de contenu approfondie du témoignage recueilli, au moyen d’une grille d’analyse. Cette grille comporte 19 critères qui se retrouvent statistiquement davantage dans les récits personnellement vécus par rapport aux récits non vécus.
  3. Vérification
    La vérification s’effectue au moyen d’une seconde grille comportant 18 critères. C'est au cours de cette étape que l'examinateur procède, par exemple, à l'analyse du contexte du dévoilement. Un entretien avec la ou les personnes qui ont recueilli le premier dévoilement de l'enfant sera réalisé.